« L’intelligence artificielle est avant tout une intelligence humaine et collective »
Espoir de la science et de la médecine, l’intelligence artificielle promet de révolutionner l’art du diagnostic et de la prescription dans un futur très proche. Déjà implantée dans 280 hôpitaux et dans une cinquantaine de pays, l’intelligence créée par le groupe suisse Sophia Genetics permet de démocratiser la médecine basée sur les données et de globaliser l’expertise médicale. Entretien avec son PDG, Jurgi Camblong.
Pour les non-initiés, pouvez-vous décrire ce qu’est une intelligence artificielle ?
C’est une technologie qui utilise le code pour reproduire ce que fait le cerveau humain, mais de manière plus efficiente, plus fiable et plus rapide. À l’origine l’intelligence artificielle est une discipline scientifique née dans les années 50 qui se base sur trois techniques : l’inférence statistique, la reconnaissance de patterns et l’apprentissage automatisé. Le plus important est de comprendre que l’intelligence artificielle apprend toujours de l’humain, de son expertise et de son expérience, c’est ainsi qu’elle progresse.
Pensez-vous vraiment, comme vous l’avez déclaré, que l’on puisse en finir avec le cancer grâce à l’intelligence artificielle ?
Oui, on peut faire en sorte que le cancer devienne une maladie chronique avec laquelle on peut vivre, comme le HIV, à condition de suivre un traitement et de contrôler son évolution. C’est grâce au séquençage de l’ADN à haut débit que l’on comprend désormais le cancer : on est aujourd’hui capable de voir comment il évolue et la médecine des données va nous permettre de mieux le traiter.
Dans quels domaines médicaux intervient SOPHIA, l’intelligence artificielle développée par Sophia Genetics ?
Il existe de nombreuses applications cliniques pour SOPHIA et c’est aux hôpitaux de s’en emparer et décider pour quelles maladies ils souhaitent l’utiliser. À l’heure actuelle, l’outil est utilisé pour traiter les maladies héréditaires et en oncologie. La production de données digitales nous donne pour la première fois des indications très précises sur l’origine de ces maladies.
Comment fonctionne-t-elle ?
La première étape, qui est de loin la plus difficile, consiste à aider les hôpitaux à obtenir des données fiables et « propres » sur leurs patients, et ce indépendamment des technologies déployées pour séquencer l’ADN. C’est une étape clef de standardisation afin de mieux exploiter les données par la suite. L’ensemble des données sont ainsi stockées dans une base de données unique, à laquelle 280 hôpitaux ont accès, constituant un réseau intelligent duquel chaque praticien peut apprendre et que chaque praticien améliore en y consignant ses prises de décision et annotations.
C’est donc la confrontation d’un très grand nombre de cas qui permet d’améliorer les diagnostics et les traitements ?
Oui en effet. Notre intelligence artificielle est avant tout une intelligence collective, qui permet d’aider au diagnostic de patients partout dans le monde. Sur les cancers héréditaires par exemple, c’est un savoir qui évolue continuellement. Sur les 27 gènes importants dans les prédispositions au cancer, on détecte tous les variants présents chez le patient, ensuite on les classe et on les caractérise en fonction de leur degré de pathogénicité : la caractérisation par les 800 experts qui ont accès à la plateforme affine l’intelligence artificielle en continu.
Que peut apporter l’intelligence artificielle aux laboratoires pharmaceutiques et à la recherche sur les traitements médicamenteux ?
La médecine des données et l’intelligence artificielle risquent de créer les conditions d’une exigence non plus de moyens mais de résultats en ce qui concerne les médicaments et le choix des traitements. Ainsi les cocktails de médicaments prescrits dans le cadre d’un traitement contre le cancer ne seront peut-être plus remboursés sur prescription mais en fonction de leur efficacité.
L’intelligence artificielle permet aussi à l’industrie pharmaceutique d’affiner le recrutement des patients pour les essais cliniques, grâce à des diagnostics et une segmentation des cas plus précis. À terme, ceci permettra l’accélération de la mise sur le marché des médicaments et garantira une meilleure efficacité de ceux-ci.